La C.C.A, affectation et souvenirs

De par mon cursus civil, je devais être rond de cuir dans le Groupement des Services. Je l'ai appris plus tard par d'autres appelés de mon contingent, qui eux y étaient. A ma grande surprise je me retrouvais à la 3ème Compagnie plus connu sous le nom de CCA (Compagnie de Commandement et d'Appui). Cette compagnie composée de différentes sections (atelier régimentaire, atelier de compagnie, transmissions, mortiers, etc..) se trouvait à mi-chemin entre les compagnies de combat et la bureaucratie. Elle était composée de personnel capable de se battre mais devait aussi apporter une logistique de soutien aux compagnies de combat.

Début mai, ce fut l'appel afin de connaître nos affectations dans les différentes compagnies. Chacun attendait que son nom soit prononcé afin de connaître son affectation. Untel à la 1ère Cie, aux Transmissions, à la CCA, au Groupement des Services, à la 2ème Cie, etc...

J'avoue que j'avais la hantise de me retrouver dans une compagnie de combat. Je savais de par les classes où se trouvaient les bâtiments des différentes compagnies. Lorsque mon nom fut prononcé et que l'on m'annonça la CCA, j'ai eu déjà un petit soulagement de ne pas être en compagnie de combat. Je ne savais toujours pas à quoi correspondait mon affectation, mais je me disais que c'était forcément mieux. La suite me donna raison.

Mon affectation définitive était plus précisément à la SAR (Section Atelier Régimentaire) composée d'une quinzaine de militaires appelés. Avec moi, il n'y avait que des carrossiers, mécaniciens ou peintres automobiles. Il y avait aussi des civils allemands qui travallaient avec les appelés. Je ne voyais pas ce que je faisais là. J'y reviendrais plus tard.

Deux de mes nouveaux gradés, un sergent et un caporal-chef engagés, m'emmenèrent avec toutes mes affaires civiles et militaires dans un nouveau bâtiment découvrir ma nouvelle chambrée. Dans cette compagnie et cette section, j'ai découvert une autre facette de l'armée que j'aurais pu appeler " famille ou petit comité ". Pour accéder à cette chambrée, il fallait monter un large escalier jusqu'au premier étage. Arrivé sur le palier, tout de suite à gauche s'ouvrait le domaine de la SAR qui était en cul de sac. Toutes les chambres de ma section comportaient deux lits et deux armoires sauf une qui en comptait quatre. Le sol des couloirs et sanitaires était en carrelage, celui des chambres du parquet. Nous étions la seule section de la CCA a avoir en permanence le parquet ciré par nos soins ainsi que des patins à la porte d'entrée de nos chambres. Ces patins qui n'étaient que des bouts de feutre, nous permettaient de briller en permanence le parquet. Même en chaussons, tout le monde les prenait.

Je me souviens d'une fois ou le capitaine qui commandait la CCA inspectait les chambres accompagné par l'adjudant de compagnie qui totalisait trente ans de service. Comme lui même le disait : " Ma carrière est derrière moi ". Après le " garde à vous " et le " repos " réglementaires, le capitaine posait ses ranger's sur les patins et entrait en glissant les pieds. L'adjudant lui, rentrait sans prendre de patins. Le capitaine remarqua notre tête quand on vit l'adjudant entrer dans la chambrée. Ce dernier s'est vite fait remettre en place. Ce fut du genre, " Adjudant, vous ressortez et vous prenez les patins ! ". Sur le coup, ce pauvre juteux en a bafouillé tout en s'excusant. Pour nous c'était une bonne chose et pour lui un affront devant des soldats appelés de 2ème classe.

Contrairement aux autres unités, nos portes de chambres fermaient à clés. A partir du moment ou une porte était fermée à clé, même les gradés n'insistaient pas. Lorsque nous étions de corvée des toilettes, cela nous permettait de fermer la porte des sanitaires en attendant que tout soit sec. C'était un avantage certain par rapport aux autres sections. Les serrures des portes étaient simples mais efficaces. Etant à la section de l'atelier régimentaire, nous avions de quoi faire ces clés. C'était simplement un clou de charpentier grossièrement mis en forme mais efficace.

Nous étions également la seule section de la compagnie à avoir une machine à laver le linge électrique. Elle nous permettait de laver notre linge de corps, nos chemises, nos différents treillis plus souvent et sans effort. Pour l'acheter, nous nous étions cotisé. Son coût a vite été amorti.

Avec le recul, la SAR était une section ayant plus de libertés que les autres sections de la CCA.

Pour revenir à mon affectation, après avoir rangé nos affaires personnelles dans notre armoire, nous avons été sur ce qui serait notre lieu de travail jusqu'à notre libération. Nous devions rentré un par un dans le bureau de l'adjudant qui commandait la SAR et nous présenter à lui réglementairement.

Quand ce fut mon tour, je rentrais dans son bureau, je faisais le salut réglementaire puis je me présentais : "Grenadier Blanchot, à vos ordres mon adjudant". Là, il m'annonça que je serai magasinier. Je ne comprenais pas ce que je faisais ici, mais c'était l'armée. Chercher à comprendre, c'est désobéir. Après un deuxième salut, je sortais de son bureau en me disant: on verra bien.

Le lendemain, après le rapport du matin dans la cour de la CCA, je me rendais, au pas cadencé sous les ordres de notre sergent, sur mon lieu de travail. Là, j'étais présenté au responsable du magasin qui était un français travaillant pour l'armée. Il me présenta la façon dont on travaillait. Cela comportait la gestion du stock, entrées et sorties des différentes pièces à l'aide d'un ordinateur manuel constitué de fiches bristol, la distribution du matériel en fonction des demandes des mécaniciens et le réapprovisinnement. En résumé, le magasin tournait avec un civil et deux appelés du contingent.

Au bout d'une quinzaine de  jours, j'étais convoqué au bureau de l'adjudant de la SAR. Aurai-je commis une faute ? Il me demanda sans fioritures : " Êtes-vous satisfait de votre affectation, sinon c'est la compagnie de combat".

Mon choix était tout réfléchi. Je lui répondais par l'affirmative afin de rester dans la section de cette compagnie.

Le 11 et 12 juin 1977, il y eut les journées portes ouvertes au Quartier Napoléon. C'était un week-end usant car il avait fallu tout préparer, mais cela changeait de la routine. Dans les différents stands l'ambiance y était bonne et c'était tout juste si on faisait attention au grade.

Dans ma section, on était plutôt brochettes, saucisses et merguez. J'ai passé un week-end fameux et fumant. C'est ce jour que j'ai vu pour la première fois une femme berlinoise plus alcoolisée que son mari. Elle voulait à tous prix qu'un char du 11ème Chasseur la ramène chez elle. Je revois la scène avec son mari qui essayait de lui faire comprendre que c'était impossible.

A la SAR, vu que nous entretenions les différents véhicules du régiment et que nous avions nos propres camions, il nous fallait le permis VL (véhicule léger) et le PL (Poids lourd). La majorité avait déjà le permis VL obtenu en France. Pour le permis PL, c'était nos gradés directs qui nous le faisaient passer.

La seule chose a savoir était la signification de certains panneaux spécifiques à l'Allemagne. Il y en avait 32 à connaître par coeur. Le jour du permis, il y eu une interrogation écrite sur ces panneaux puis une partie de conduite et enfin une question mécanique.

Pour ma part, aucun problème sur les panneaux. Pour la conduite et la mécanique c'était l'adjudant de SAC (Section Atelier de Compagnie) qui s'occupait de moi. Au niveau de la conduite, je devais rouler dans le quartier Napoléon puis j'ai fini par une marche arrière le long d'un trottoir. Tout c'est bien passé.

Sur la quetion mécanique, il me fit descendre et m'emmena à l'arrière du camion. Il me montra sur l'essieu deux écrous de couleur jaune et me demanda : " A quoi servent-ils ? ". N'ayant pas la réponse, je lui répondis: " Je ne sais pas ! Moi, je ne suis pas mécanicien ! ". Il fut surpris de cette réponse et me dis de regagner ma section.

Quelques minutes plus tard, je me dis que j'avais envoyé sur les roses un gradé qui pouvait refuser mon permis PL, mais en tant que magasinier à la SAR, je devais pouvoir conduire le camion magasin. Effectivement, ma réflexion n'a eu aucune conséquence.

Bien entendu comme nouvel arrivant à la SAR, il y avait le fameux bizutage. Il consistait à être entièrement mouillé dans un bac d'eau qui servait à vérifier les chambres à air puis être saupoudrer de talc. Le tout se faisait en treillis et rangers mais en ayant oté ses effets personnels. Ensuite, nous étions ramenés à la compagnie dans un VW Combi pour que l'on puisse se changer. Ce bizutage se faisait avec l'aval de nos gradés directs.

Première permission

La première permission que j'ai prise, était une soixante-douze heures. Elle était par avion à bord d'un Nord-Atlas. Avant le démarrage des moteurs, un camion de pompiers est arrivé. Un homme en est descendu habillé d'une combinaison ignifugée traînant un gros extincteur sur roulettes, muni d'une lance. Après les premiers toussotements du moteur droit et une fumée noire, j'étais étonné que celui-ci pris son rythme. La même opération se passa pour le moteur gauche. Une autre surprise a eu lieu en bout de piste quand le pilote, commandant de bord, fait le point fixe. Les freins serrés, il pousse les moteurs à leur maximum. Vu de l'intérieur, c'était impressionnant. Les ailes battaient de gauche et de droite, tandis que les deux queues de l'avion bougeaient alternativement de haut en bas. Je voyais l'avion se vriller.

Il n'était pas rare, quand nous étions au casernement, d'entendre décoller l'avion des permissionnaires et de le reéntendre attérrir quelques temps plus tard. Cela devait être dû à des problèmes techniques, ce qui faisait que ces permissions étaient aléatoires.

Lorsque l'on avait l'accord de sa permission, on savait uniquement à ce moment quel serait le moyen de transport. Ce pouvait être le train mais aussi l'avion à partir de la BA 165. Quelle que soit la durée, si la permission était par train le décompte partait dès l'arrivée en gare de Strasbourg et si c'était par avion le décompte se faisait à partir de Berlin. Ceci était dû au fait qu'il fallait une nuit de train contre environ quatre heures de vol.

Par train comme par avion, le transport se faisait dans des couloirs ferroviaires ou aériens surveillés par les autorités russes.

En permission aérienne depuis la BA 165, le transport se faisait soit en Transal soit en Nord-atlas. Le confort y était spartiate comme tout avion militaire. Nous avions les sièges d'origine en toile.

L'ennui avec les permissions par avion, c'était que l'on pouvait atterrir ou décoller d'un peu partout autour de l'Ile de France à partir du moment que c'était une base militaire. Ainsi, je suis arrivé une fois au Bourget et reparti d'Orléans-Brissy et d'Evreux. Il fallait donc s'organiser pour que quelqu'un vienne vous chercher ou vous raccompagner.

Une fois, j'ai eu droit à un avion de l'Aéro-navale. Je ne me souviens plus du type de l'avion, mais j'avais un vrai siège et de vraies hôtesses, militaires mais hôtesses. Petit plus, elles ont distribué des bonbons. J'étais loin des avions transporteur de troupes.

Nord-Atlas sur la BA 165 et découverte de l'intérieur et du confort relatif des sièges

A part l'entretien et le dépannage des véhicules du régiment, une autre activité qui nous donnait une certaine liberté, c'était quand une compagnie partait en manoeuvre. Deux appelés devait se rendre à la gare française de Berlin-Tegel avec le camion-grue afin de parer aux éventuels problèmes lors du chargement des différents véhicules sur les wagons.

La première chose que l'on faisait, avant de sortir du quartier Napoléon, était d'aller acheter des petits pains avec de la charcuterie et des boissons dans une cantine ou les civils allemands faisaient leur pause. Une fois arrivé à la gare et avant que n'arrive le convoi militaire, on plaçait le camion  parallèlement au dernier wagon pour parer à toute chute éventuelle des différents matériels. En général cela prenait entre deux et trois heures, ce qui nous permettait de manger les provisions que nous avions achetées. Une fois que tout le monde était sur les wagons, un gradé qui n'était pas de la CCA venait nous avertir que nous pouvions rentrer au quartier. Pour nous, c'était comme une récompense de la part de nos gradés directs. Il faut savoir qu'il n'y avait que deux conducteurs officiels de ce camion-grue car la boîte de vitesse n'était pas synchronisée. Si je me souvient bien, il avait un peu plus de 10 000 KM, mais en était à son troisième embrayage. Un record !

Départ et passation de commandement à la CCA

J'étais arrivé dans cette compagnie quand elle était encore dirigé par le capitaine Majérus. Je ne l'ai pas connu longtemps car il changeait d'affectation fin août, mais le peu de temps que j'ai été sous ses ordres, je l'ai apprécié. C'était un militaire qui aimait son métier et qui vis à vis des appelés était juste et avait le respect de ses hommes. C'était un baroudeur. On voyait qu'il lui fallait de l'action. Il n'hésitait pas à venir faire du sport avec nous, notamment quand c'était du cross. Si il estimait qu'un appelé avait donné tout ce qu'il pouvait, il n'hésitait pas à lui dire de finir le cross en marchant. Ce ne fut pas le cas de son remplaçant le capitaine Asnard.

Le capitaine Asnard, second chef de compagnie que j'ai connu, lui n'avait pas la même philosophie. C'était du genre tout le monde doit en " Chier " d'autant que vous êtes des appelés et que vous n'avez rien à dire. Lors des rapports dans la cour de compagnie, pour lui, c'étaient " Toutes les sections participent ". Souvent notre gradé direct (adjudant de la SAR) regardait notre visage. Il comprenait vite, d'autant que lui aussi n'avait pas trop envie de modifier notre routine. Après que le capitaine ait finit son rapport, notre adjudant levait le bras pour s'adresser à lui. Cela donnait : " Mon capitaine, vous voulez que l'on fasse ceci mais le colonel nous a ordonné de peindre les véhicules pour tel défilé " ou bien " Mon capitaine vous voulez que l'on fasse cela, mais nous avons la voiture du colonel à réviser ". Là, le militaire qu'il était devait se plier devant le grade plus élevé. C'était avec un mécontentement visible et un ton de colère, qu'il annonçait : " La SAR vous allez travaillez ! ". Alors un petit sourire de connivence se dessinait sur nos visages et celui de nos gradés. Nous avions encore gagné une bataille.

Au cours des premiers rassemblements pour le rapport dans la cour de la compagnie, j'ai vite compris que nous étions une section à part grâce à l'appui de nos gradés directs. Par la suite, les futurs évènements me donnèrent raison. La SAR était indivisible.

La CCA en manoeuvre

Fin août, la CCA partait en manoeuvre à Stetten pour une douzaine de jours. Comme magasinier, ayant obtenu mon permis PL, l'adjudant de la SAR m'annonça que j'y participerais avec le camion magasin. Mon rôle serait de rester dans mon camion, d'attendre que l'on m'amène la pièce défectueuse pour que je donne la même pièce, mais en neuf.

Comme décrit ci-dessus, j'ai eu droit au camion-grue mais là c'est moi qui devait charger mon camion magasin sur les wagons. Etant seul dans mon camion, depuis le quartier Napoléon, on m'a désigné un autre appelé en tant que chef de bord. C'est ce jour que j'ai compris qu'il valait mieux être chauffeur que chef de bord. 

En effet, c'est lui qui devait me guider pour l'embarquement et le roulage sur les wagons. Il devait toujours y avoir un écart de la longueur d'un wagon entre lui et moi. Si jamais j'étais plus serré d'un côté que l'autre, c'est lui qui se faisait sermoner.

Après, il fallait arrimer les véhicules afin qu'ils ne bougent pas durant le transport en train. Pour finir, un responsable de la Deutsche-bahn passait pour vérifier les fixations sur chaque wagon avant le départ du convoi ferroviaire. Ce dernier s'est fait vers les 18h00.

Après avoir voyager toute la nuit, le matin, il fallait désarrimer les véhicules et les descendre du train avant de rejoindre le camp de Stetten pour y garer tous les véhicules. A ma grande surprise nous étions sur une grande esplanade à l'extérieur en hauteur par rapport au camp. Une fois cela fait, nous sommes allés nous installés dans nos futurs bâtiments pour la durée de cette manoeuvre puis prendre le petit déjeuner avant le rapport. Là, on me précisa le déroulement de ma journée.

Je me levais avec les autres, faisais ma toilette, prenais mon petit déjeuner puis rapport sur les activités de la journée pour les autres sections. Pour moi, armé de mon MAS 36, une jeep VW m'emmenait en dehors du camp sur le parking ou étaient les véhicules. L'appelé qui avait passé la nuit a les garder était ramené au camp par cette même jeep. Je restais sur ce parking jusqu'à environ midi. On venait me chercher avec la relève le temps que je déjeune puis après le rapport, on me remontait à l'extérieur du camp sur le parking. Le soir, vers les 18h00, on revenait me chercher avec la relève pour la nuit. Je peux dire que pour moi, ce n'était pas des manoeuvres mais des vacances.

Ci-dessous, quelques photos faites sur le parking situé hors du camp de Stetten.

La seule fois ou je fus vraiment occupé, c'était un soir ou nous devions tous rouler en feux de " Black-Out " sur les pistes du camp. Ne possédant pas ce type de feux sur mon camion, on me dit de circuler en veilleuse. On m'avait en plus attribué une petite remorque que je ne voyais pas dans mes rétroviseurs extérieurs. A un moment, il a fallu faire une marche arrière. J'ai essayé deux ou trois fois de reculer mais cette remorque à chaque fois que je la voyais dans mes rétroviseurs, il était trop tard. Elle était déjà à l'équerre. J'ai donc décidé de dételer la remorque, faire la manoeuvre avec le camion et réatteler cette satanée remorque. Le problème était résolu. 

Pendant que nous étions à Stetten, l'armée américaine est venue elle aussi en manoeuvre. Ils avaient du matériel impressionnant. des semi-remorques, des conténeurs, des fenwicks. De mes yeux, j'ai vu un GI américain sortir un salon de jardin et s'y installé. On ne jouait pas dans la même cour.

Durant mon séjour au Quartier Napoléon, l'armée française fut invité à une démonstration de l'armée britannique pour le jubilé de la reine Elisabeth II. Pour ce jour exceptionnel, nous étions tous en tenue de sortie.

Quelques temps plus tard, un engagé nous a rejoint à la SAR. Il avait le grade de lieutenant. On a appris que c'était un ancien séminariste. Entre cet ancien séminariste et notre adjudant dont le rêve était d'élever des chêvres dans le Larzac, la SAR on était bien lotie.

Ma seconde permission s'est faite avec le TMFB (Train Militaire Français de Berlin). Pour le commun des mortels ce sigle signifiait dans un language peu chatié " Tu Me Fais Bander ". Nous devions partir la veille au soir vers les dix-huit heures de la gare de Berlin-Tegel. C'est à cette première permission que je me suis rendu compte de la différence entre l'Est et L'Ouest. A partir de Postdam, début du couloir ferroviaire sous la responsabilité russe, le train devenait un tortillard. On y apercevait les rues pavées de l'Est et les façades d'immeubles portant encore les stigmates des tirs de la guerre 39/45. Parfois le fameux mur n'était qu'un très haut grillage d'environ 3 à 5 mètres de haut entre plusieurs voies de chemin de fer. Il y avait un endroit dont j'ai oublié le nom, ou à l'aller comme au retour, le train s'arrêtait pour la vérification des papiers des personnes à bord. Dès son arrêt, le train était entouré de vopos en armes.

Pour les militaires et civils, il était absolument interdit d'ouvrir les fenêtres ou de prendre des photos. La seule personne autorisée à descendre du train était le chef du convoi. Il présentait la liste des différentes personnes de ce convoi ainsi que la durée de leur séjour ou de leur permission. Les russes savaient qui entrait ou sortait de Berlin Ouest.

C'est aussi à cette endroit pour la première fois de ma vie que j'ai ressenti mes tripes se nouées. Pas très loin de l'arrêt du train, il y avait un immeuble, avec des balcons, situé à l'Est. Au deuxième étage, chaque fois que le TMFB passait, deux personnes d'un certain âge agitaient un torchon blanc au départ du train. Pour moi, la symbolique était " Vous partez vers la liberté et nous restons enfermés ". Je dois avouer qu'à chaque passage, j'avais la même sensation.

Au mois de novembre, j'étais nommé 1ère classe et caporal le même jour. Je ne m'attendais pas à cette promotion. Quand je pense que certains ont fait le peloton et en ont bavé pour être nommé caporal, alors que moi je n'ai rien fait de cela. Plus tard je me suis aperçu que cette nomination n'était pas sans raison. En attendant, j'avais une solde un peu plus conséquente que mes compagnons.

Dès que j'ai été nommé caporal, mon rôle consistait à gérer les déplacements des appelés de la SAR au sein du quartier. Cela à permis à nos sous-officier de ne plus le faire. C'était surtout pour aller de la cour de la compagnie à notre lieu de travail et de notre lieu de travail à la cantine. Dès le début j'ai mis les choses au point avec mes compagnons : " Si je n'ai pas d'ennuis, je ne vous embêterais pas ". Ils ont immédiatement compris le message.

Lorsque nous allions de la compagnie vers notre atelier, tout se faisait au pas cadencé. Par contre pour aller de l'atelier à la cantine nous démarrions alignés mais non au pas. Par contre avant que nous passions devant le bureau du colonel, commandant le régiment, j'annoncais : " Gauche... Gauche... Gauche... " et tout le monde se mettait au pas cadencé.

Pour les fêtes de fin d'année 1977, le civil français responsable du magasin rentrait au pays pour une quinzaine. C'est à ce moment que j'ai réellement compris ma prise de grade inopinée. Je devenais pendant son absence le responsable du magasin. A son retour de France, c'était à moi de prendre une permission de 72 heures. Je lui relatait comment s'était passé cette gestion pendant son absence. N"ayant pas eu de mauvaises remontées de sa part et de nos gradés directs, j'en ai déduit que j'avais pas trop mal travaillé.

Les appelés de la SAR restés au quartier Napoléon pour les fêtes de fin d'année ont fait une crêche métallique avec des boulons, vis, écrous et autres matériaux disponibles au magasin. Tout le régiment a eu un repas amélioré pour le jour de Noël et le jour de l'An. 

La crèche de la SAR et un appelé de mon contigent avec son amie

Quand la SAR devait faire quelque chose, hormis l'entretien et le dépannage des véhicules du régiment, c'était tous les appelés ensemble ou personne que ce soit du sport, du tir, des tours de garde ou toute autre activité.

Ainsi, il nous est arrivé plusieurs fois d'être de DMI. Je n'ai jamais su la signification de ce sigle. En fait nous étions en alerte pour 24 heures. Nous portions les brelages, nous avions les PM avec nous, nous devions nous coucher en treillis et ranger's afin d'être opérationnels le plus rapidement possible.

Etre de DMI, c'était faire des patrouilles le long du mur de Berlin dans le secteur français et intervenir pour sauver quiconque tenterait de passer de l'Est à l'Ouest. Dès que nous circulions le long du mur, nous étions suivi par les jumelles des militaires russes, les vopos situés dans les miradors. Ce qui est important à savoir, c'est que nous ne pouvions intervenir que lorsque la personne avait passé le dernier mur situé à l'Ouest.

Les patrouilles se faisaient en Unimog avec caisse de munitions, des PM, un brancard et un drapeau de la croix rouge. Le petit plaisir de nos gradés directs était d'énerver les vopos, militaires de l'Est. Pour cela, on avait droit à un petit briefing. L'adjudant disait : " Chauffeur, vous vous arrêtez à cet endroit et vous nous attendez à environ 500 mètres. Les autres vous sauter du camion avec la caisse à munitions, la civière et le drapeau de la croix rouge et vous courez ". Cette action avait pour effet d'affoler les gardes frontières russes. Il devait se dire que quelqu'un était passé à l'Ouest et qu'ils n'avaient rien vu. Dans les minutes qui suivaient un véhicule arrivait au pied du mirador qui avait signalé l'évènement. Après, nous remontions dans l'Unimog, content de notre plaisanterie.

Notre lieutenant de la SAR, le séminariste, avait l'habitude de prendre à tour de rôle un appelé différent pour garder ses enfants chez lui contre une petite rémunération. Cela lui permettait de sortir en ville avec sa femme. Il venait nous chercher avec sa voiture personnelle dans la cour de la compagnie car il logeait en dehors du quartier. Arrivé chez lui, il nous expliquait que nous étions là surtout pour gérer tout incident qui pouvait arriver. Il disait : " Vous vous installez dans le salon. Vous avez la télé, si vous avez faim ou soif, il y a ce qu'il faut dans le réfrigérateur. n'hésitez pas à vous servir ".

Une fois, j'ai eu droit à cette escapade hors du quartier. Normalement, lorsque l'on devait rentrer au quartier, par la porte principale et passé une certaine heure, si je me souviens c'était à partir de 23h00, nous devions avoir une autorisation spéciale. Pour sortir pas de problème mais pour rentrer après l'heure légale, c'était autre chose.

La fois ou le lieutenant m'a ramené au quartier, il était environ 1h00 du matin. Le planton, un appelé, devait voir le fameux laissez-passer. Le lieutenant lui expliqua qu'il me ramenait au quartier en insistant sur son grade. Le pauvre planton insistait pour voir ce papier. A un moment, le lieutenant me dit : " Caporal, vous avez l'autorisation, montrez la ! ".

Je savais et lui aussi que je n'avais aucune autorisation. A la fin, le pauvre planton décidait de nous laisser rentrer en espérant ne pas subir d'éventuelles conséquences.

Une fois sur l'année nous avons été de garde à la porte principale pour une durée de 24 heures. Il fallait être en tenue de sortie (voir photos ci-dessous). Le chef de poste était notre sergent de la SAR. Les appelés par binôme montaient une garde de deux heures avant de se faire remplacer par un autre binôme. La journée nous étions en compagnie d'un gendarme et c'était surtout ce dernier qui gérait les entrées. La nuit, les portes étaient fermées et il n'y avait que les appelés pour gérer les entrées et sorties.

Pour ce qui était du ravitaillement, on nous l'apportait directement de la cantine. Pour se reposer, à l'arrière du poste de garde, il y avait un dortoir. Nous y dormions tout habillé.

Un jour, à ma grande surprise, nos gradés directs nous ont annoncés: " La semaine prochaine nous vous offrons une soirée en ville. nous prenons en charge toutes les dépenses ". Je crois me souvenir que c'était un jeudi. Cela consistait à dîner dans un restaurant français, en dehors et non loin du quartier Napoléon, puis d'aller faire un tour dans des cafés berlinois ou officient de charmantes dames de compagnie.

Pour ce qui est du repas, tout c'est très bien passé et c'était autre chose que l'ordinaire. Pour la suite, ce fut plus inattendu. Les cafés étaient bien ouverts, mais il se contentaient de passer des films osés. Pas une seule femme dans les deux ou trois cafés que nous avons fréquentés. La cause en était toute bête, mais encore fallait-il le savoir. En effet, le jour de cette sortie nocturne, c'était le jour de leur sainte patronne et elles ne travaillaient pas. En conséquence nous sommes rentrés plus tôt que prévu au quartier Napoléon.

 Les week-end durant lesquels nous n'avions aucunes activités, nous permettaient soit de faire notre lessive, soit de paresser sur nos lits, soit d'aller dans le centre ville sur le Kurtfürstendam (Les champs Elysées allemands) pour y boire un coup, faire les grands magasins ou visiter le zoo.

Lorsque l'on rentrait au quartier Napoléon, nous prenions un bus à impériale qui nous déposait devant la caserne et nous montions toujours à l'étage. Un jour, un voyageur dans ce bus entendant notre conversation en français se permit de nous demander de l'aide. Il nous expliqua qu'il était ici pour faire du tourisme, qu"il avait un plan mais qu'il n'arrivait pas à se repérer par rapport au nom des arrêts du bus. La raison était toute simple, encore fallait-il le savoir, c'est qu'il voyageait en bus avec un plan de métro U-Bahn (métro souterrain). Après lui avoir expliqué et donné le plan qui va bien, On a senti que son moral remontait. Il était soulagé d'un poids. Quelques arrêts plus tard, nous descendions du bus pour rejoindre le casernement. Il nous remercia encore une fois.

Un jour vint le fameux percent. Nous avons fêté ce jour dans le couloir des chambres de la SAR au sein de la  compagnie (voir photos ci-dessous). Aucun gradé de la compagnie n'est venu nous embêter.

Durant cette année à Berlin, nous avons eu la chance de pouvoir assister à une parade des forces britanniques pour le jubilé de la reine Elisabeth II. Comme dans toutes ces cérémonies, pour moi, les anglais sont les plus forts. A chaque fois c'est un régal de les voir.

La prison de Spandau

Une des choses vécues a été d'aller garder Rudolf Heiss, ancien nazi, à la prison de Spandau.

Lors du procès de Nuremberg qui s'est déroulé du 20/11/1945 au 01/10/1946, il fut condamné à la prison à vie et a y séjourner jusqu'à sa mort. Bien qu'il soit le seul occupant de cette prison, il y était gardé à tour de rôle durant 24 heures par les différents pays (Amérique, Grande Bretagne, France et Russie). Durant mon année de service militaire, c'est dans ce lieu que j'ai vu le plus de gradés des différentes armes de chaque pays.

Comment se déroulait cette garde ?

Tout d"abord, nous devions nous habiller en tenue de sortie (voir photos du poste de garde de la porte principale) puis aller chercher un PM à l'armurerie. Un car militaire nous emmenait jusqu'à cette prison. Arrivé sur place, il y avait la relève de la garde. Une fois que nous étions rassemblés dans l'enceinte, un gradé nous distribuait un chargeur plombé. La première consigne était qu'en cas d'attaque, on devait prévenir par téléphone le poste principal et avoir l'autorisation de déplomber le chargeur avant de riposter. La seconde consigne était que lorsque le prisonnier se promenait, nous ne devions pas le regarder. Si jamais c'était le cas et qu'il se plaigne, pour nous c'était direction le trou lors du retour au Quartier Napoléon. Après nous avons été répartis dans les diiférents miradors entourant cette prison.

Je pensais en moi-même, dire que cette personne est un prisonnier condamné pour crimes de guerre et qu'il peut toujours nous créer des ennuis.


Diverses photos de la prison de Spandau

Pour terminer ces souvenirs mémorables pour moi, je finis par le jour de la libération.

Après avoir fait nos bagages, en fin d'après-midi pour la dernière fois des cars emmenaient le contingent 77/4 vers la gare de Berlin Tegel ou nous étions arrivés il y avait un an. C'était un retour définitif vers la France.

La dernière anecdote du retour s'est passé sur le réseau SNCF. Un appelé de la section SAR qui résidait à Besançon, l'armée le faisait toujours transiter par la gare de l'Est à Paris. Or, ce jour il ne regarda pas son billet de train. Il prit le même train que nous en direction de Paris. Lorsque nous avons présenté nos billets au controleur, ce dernier lui annonça qu'il devait payer un supplément car à Strasbourg il devait prendre un train pour Besançon. Heureusement qu'il avait de l'argent pour payer.